Chaque jour qui passe, je
déteste l'Europe un peu plus. Je ne parle pas du continent ou des
êtres humains qui le composent, mais de toutes les institutions
supranationales qui dirigent l'Europe des 27. Et lorsque j'utilise le
mot détester, c'est parce que je veux rester poli. Il ne faut
pas croire que je sois anti-Européen que du contraire. Non, c'est juste que je suis
contre ce que le monde politique fait de l'Europe.
Autour du Bénélux, les
États du vieux continent se sont regroupés pour maintenir la paix
de tous les citoyens. Depuis le début du processus, le but était le
bien-être de tous les êtres humains. Cela devait améliorer la vie,
les sciences, les connaissances, l'économie dans un soucis de
développement équitable et partagé par l'ensemble de la
population.
Sans oublier le côté
démocratique du Parlement Européen: les hommes et femmes siégeant
au sein de celui-ci, élus par le peuple devaient lui
rendre des comptes. Les entités chapeautant les nations menant l'idéal vers un monde plus juste dans lequel la pauvreté
serait, sinon éradiquée, en tous cas fermement combattue.
Il ne faut pas croire que
je suis fou ou que j'ai mal compris. Non, non, c'était cela l'Europe
qui nous a été présentée lors des différentes phases
d'élargissement. C'est cette Europe-là qui m'a mis des étoiles
dans les yeux lorsque je la dessinais, c'est cette Europe-là qui
devrait exister aujourd'hui. C'est uniquement cette Europe-là qui
aurait dû être construite.
J'ai eu la chance d'avoir
très bien connu les deux côtés du rideau de fer durant les années
80. De chaque bord, les hommes et les femmes s'observaient rêvant
d'une destinée commune faite de paix, d'harmonie et de richesse pour
tous. Ce but était atteignable. Je parle bien au passé, car il ne
l'est plus. Le Grand Idéal Européen est mort, la prostituée
s'étant livrée au plus offrant.
La première fois que
l'Europe m'a dégoûté, cela s'est passé vers 90-91, lors du
démantèlement de l'ex-Yougoslavie. Elle a été incapable de
répondre à sa première mission: garantir la paix. Les immondes
intérêts nationaux des grands pays historiques ont
prévalu sur la pacification des Balkans. La diplomatie européenne a
montré une faille béante dans ses fondations.
La discorde entre les
États a permis à la Slovénie de prendre son indépendance tandis
que les Serbes déclaraient la guerre à tous leurs voisins sous
l’œil incrédule de l'Europe. Pire l'intervention de l'OTAN a
accéléré les massacres au Kosovo.¹ Une tragédie aux portes de
l'Europe qui n'est d'ailleurs toujours pas réglée, les voix étant
toujours dissonantes au sein de l'Union.
À cette époque, j'ai
compris la chose la plus importante en ce qui concerne l'Europe: il y
aura toujours la suprématie de la préférence nationale. C'est à
dire que les pays qui composent le continent défendront d'abord
et uniquement leurs intérêts nationaux. Les vingt ans qui
nous séparent de cette guerre ont prouvé que ma conviction était
juste.
Mais le pire est à
venir. Les institutions ont très bien compris qu'elles devaient se
prémunir contre les intérêts des partenaires et défendre leurs positions à elles. Le principe était juste. Dorénavant, les directives
européennes devront être transposées dans le droit national.
Point. Et c'est là que l'Europe a basculé dans le capitalisme pur
et dur.
À partir de ce jour,
toutes les injonctions allaient dans le même sens: privatiser, moins
d'État, la loi du marché, etc... Le tout au bénéfice du
consommateur, cela va de soi. Par le plus pur des hasards, cette évolution est contemporaine avec l'arrivée d'une nouvelle catégorie de personnes, directement importées des États-Unis: les
lobbyistes.
«Le métier de lobbyiste
consiste à exercer une influence, directe ou indirecte, en vue
d’obtenir une décision favorable d’une instance décisionnelle
au profit d’un collectif le plus souvent économique.»² Comme
cette influence a un prix très élevé, ce type de comportement est
réservé à des catégories d'entreprise qui ne sont pas réellement
connues pour être politiquement à gauche. Le débat est tronqué
avant même d'avoir commencé.
Et il y a encore plus
grave: l'opinion publique n'est même pas informée sur les votes
européens, et les choix de ses élus. Donc, avec la force des liasses
de billets et du manque de transparence, le train de l'Europe est en
marche, démocratiquement, vers un monde ultra-capitaliste que le
citoyen lambda ne veut pas. De toutes façons, son avis ne compte pas, l'Europe et les manipulateurs de l'ombre lui imposent ce que eux veulent.
Un continent où les
pauvres n'ont pas de couverture sociale, où les écoles publiques
sont minables, où les services sociaux sont débordés, où les
ghettos sont ultra-violents, où les richissimes vainqueurs mangent
les pauvres vaincus, où les mass-médias prônent la réussite
personnelle, et où des millions de gens sont broyés par le système,
c'est de l'autre côté de l'Atlantique. Nous, c'est l'Europe.
Et je préfère voir
l'Europe détruite plutôt que de lui laisser l'occasion de m'imposer
le modèle US.
¹La nouvelle guerre des Balkans, manière de voir n°45, mai-juin 1999.
²Définition du site "Mon incroyable job": Lobbyiste, fiche métier.