Ô Seigneur, je me tourne vers toi et je ne sais même pas pourquoi. Depuis ma naissance, des tas de gens ont essayé de me faire croire en toi. Je n'y suis pas arrivé, et encore moins depuis que les hommes m'ont enfermé dans cette geôle. Je t'ai appelé, je t'ai supplié, je t'ai pleuré, pourtant tu ne m'es jamais apparu. Il faut avoir la Foi, peut-être, je ne sais pas.
Dans quelques heures, mes bourreaux ouvriront la porte et m'emmèneront pour m'exécuter. Il paraît que je le mérite. La société, les juges, l'humanité m'a condamné. La seule solution pour une sale bête comme moi ne pouvait être que la peine de mort. Mais Toi qui connais le plus profond de mon coeur, Toi Seigneur, le penses tu aussi?
Toi qui as créé la Vie, toi qui as créé l'Homme, l'as tu fait pour qu'il puisse détruire ton œuvre? Penses-tu Seigneur, qu'ils ont le droit de faire cela? Si jamais tu existes, sache qu'Eux ils le font en ton Nom. Ils vont m'assassiner en te priant, en te glorifiant, en te chantant. Penses-tu que cela me donne envie de croire en Toi?
J'aurais tellement aimé qu'ils m'oublient encore un peu, que je vieillisse encore de quelques années. Je me suis habitué à ma cave, malgré sa froideur, malgré ses barreaux. J'aurais voulu encore en profiter, mais bientôt, quelqu'un d'autre prendra ma place. Parce qu'Ils en ont besoin, parce qu'Ils doivent continuer leurs homicides.
Ils me proposent un dernier repas. À quoi bon? Je n'aurai même pas l'occasion de le déféquer. Pourtant, l'envie me démange de leur chier à la gueule, de creuser un trou, de les mettre au fond et de me vider sur Eux et sur leur Injustice. Mais cela serait un péché, non? C'est cela que Tu nous apprends dans la Bible, non? Ce qui est Bien ou Mal.
J'entends la clé de la cellule qui vient de s'insérer. Ils sont là. Les Justiciers vont m'emmener. Ils m'enchaînent une dernière fois, de peur que j'échappe à mon sort. Ils ne ricanent pas, comme je l'aurais espéré. J'aurais tellement préféré qu'ils me haïssent, mais cela fait vingt ans que nous nous connaissons, et ils savent qui je suis.
Ils me parlent, mais je n'ai rien à leur dire. Je veux penser à autre chose, je veux m'évader par l'esprit. C'est tout ce qu'il me reste : la pensée. Ils ont même eu la délicatesse de faire venir un prêtre. Il récite tes paroles. J'ai envie de me retourner et de lui hurler «Ferme ta gueule! Tais toi! Arrête de prêcher le Pardon, alors que c'est toi qui massacres, qui tues!».
Je ferme les yeux et me laisse guider par mes tortionnaires. Je pense une dernière fois à tout ce qui peut me faire croire en Toi. Je m'imagine en haut des montagnes, sur les cimes en train d'observer les aigles. Je me vois voguant sur les mers à bord d'un voilier, je me vois me promener dans les forêts. Si je n'entendais pas le cliquetis de mes fers, je pourrais oublier que je vais mourir.
J'aurais aimé jouer Chopin une dernière fois. Rien que quelques notes de sa nocturne n°1 pour piano. J'aurais voulu encore une fois ressentir l'ivoire du clavier sous mes doigts, juste une fois. Faire rebondir mes phalanges sur un instrument et me laisser bercer par la douceur de la musique. Et recevoir l'aiguille dans mon bras ensuite. Si do ré la si sol...
Ils m'ont bien attaché, à la table. Je suis incapable de bouger. L'infirmier vient d'introduire sa pointe dans mon bras sans même me regarder. A-t-il mauvaise conscience? Je ne veux même pas y songer. Ils ont fermé les rideaux, le public, venu en nombre, ne me voit plus. Il me reste quelques instants, et je veux me remémorer les belles choses de la Vie.
J'aurais encore préféré être piqué par un vétérinaire. Même les chiens ont droit à plus de compassion dans leur agonie. Ils sont couchés sur les jambes de leur maître qui les caresse. J'aurais tellement voulu que quelqu'un me prenne sur ses genoux. Peu importe qui. Simplement poser ma tête, et sentir un être, une présence, juste de l'humanité.
Si tu existes, Seigneur, donne de la force à ceux qui ne m'ont pas pardonné. Si tu existes, Seigneur, donne de l'énergie à tous ceux qui m'ont aidé. Si tu existes, Seigneur, donne la Foi à celui qui m'a condamné. Si tu existes, Seigneur, pardonne à celui qui m'a dénoncé. Si tu existes, Seigneur, aie pitié de ceux qui ont faussement témoigné.
Si tu existes, Seigneur, attends moi, j'arrive.
je vous invite à lire ce billet de Josef Kaf qui s'est engagé à correspondre avec un condamné à mort
RépondreSupprimerTroy, Ivan et moi
Et sur le plus du nouvel obs comment être un bon condamné à mort
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