Le journalisme a changé très rapidement en seulement deux décennies. Il est très important de pouvoir s'adapter à la nouvelle situation concurrentielle afin de contrer la fuite des lecteurs, et de conquérir des marchés nouveaux. Le salut de la profession passe par une remise en question des méthodes empiriques d'investigation. Pour ce billet de ce jour, je vais essayer d'aider les futurs pigistes dans l'appréhension de leur gagne-pain aléatoire.
Commençons par le choix du sujet. C'est la base : le lecteur doit avoir envie d'acheter votre article. Prenez donc un sujet qu'il aura envie de lire. Oubliez votre côté idéaliste d'investigateur redresseur de tort. Vous allez avoir faim, donc ratissez large. Il faut que votre article parle de quelque chose que le lecteur moyen ait envie de lire et qui vous permette de vivre de votre passion.
Tournons nous vers internet : ce sont les deux « P » qui rapportent le plus d'argent. Pills and Porn. Je fais une parenthèse pour le pauvre débutant qui pourrait me lire : j'ai bien mis « LL » donc je parle des pilules et non du doux breuvage qui aide à trouver l'inspiration. Et bien voilà des sujets qui vont vous amener des lecteurs : pensez toujours "PP".« Le fermier a violé 14 veaux après avoir ingurgité la pilule bleue spéciale pour les taureaux », pourrait être un exemple. Un peu plus de quatre vingt pour cents des sujets traitant de les thèmes "PP"se sont vendus à plus de 43 millions de clics.
Une autre méthode pour trouver un bon sujet : écumez les bistrots. Écoutez les conversations et vous vous rendrez compte que les petites gens ont envie de lire dans le journal ce qu'ils aiment entendre. Et bien, donnez leur ce dont ils ont envie ! Soyez proches de vos lecteurs. Je suis certain que quelques bières ingurgitées avec vos futurs admirateurs vous amèneront bien plus que le choix de votre sujet. Il y aura des dizaines de futurs articles qui viendront illuminer votre imagination fertile. Pensez à écrire quand même un petit peu avant d'avoir bu autant que vos amis d'inspiration, un peu de discipline est de rigueur dans le métier.
Une fois que vous avez trouvé sur quoi vous allez écrire, n'oubliez pas de faire peur. Il est très important de bousculer votre futur lecteur. Il faut qu'il tremble et que quelques instants il soit terrorisé à l'idée de ce qui pourrait lui arriver à lui, ou pire à ses proches. Imaginez un instant ce qui aurait pu se passer si notre fermier avait avalé ses pilules bleues le jour où une école maternelle de jeune filles trisomiques étaient venues visiter sa ferme... Difficile à décrire n'est-ce pas ? Cela ne s'est jamais passé, me direz vous. Qu'à cela ne tienne, vous avez accroché votre lecteur, et c'est cela qui compte.
Maintenant que votre audience épie chacun de vos bons mots, ajoutez quelques ingrédients de victimisation potentielle et de manipulation tout en choisissant précieusement vos victimes. Au vingtième siècle, nos aïeux n'avaient que les communistes, mais vous, jeunes recrues, vous avez le choix ! Les lobbies, les immigrés, les spéculateurs, les politiciens, ou encore l'Europe. Peu importe, mais restez vague. Ne citez pas de nom, car c'est le procès pour diffamation assuré. De toutes façons, le lecteur lambda sait pertinemment qui est derrière tout cela, il n'y a pas besoin de lui rappeler.
Parlons justement de ce lecteur moyen : ratissez large ! Ne compliquez pas de trop, les intellectuels ne sont pas votre public ciblé : il n'y en a pas assez. Il faut que ce soit la grande majorité qui soit prête à acheter le journal qui vous emploie. Rappelez vous votre passage au bistrot : c'est Roger ou Jean-Mi qui doivent avoir le réflexe de prendre votre quotidien en même temps que leur paquet de Gitane , les Subitos et la validation de leur ticket Euromillions.
Rappelez vous qu'ils vont commencer à le lire en même temps qu'ils entameront, au choix, leur première bière, leur premier ricard ou encore leur premier verre de vin. Maintenant que votre poisson est ferré, que doit il se dire ? « Putain, ils font chier, il n'y a vraiment rien dans cette gazette! » ou « Regarde Dédé : je te l'avais dit hier, j'avais raison ! » Je pense que nous nous sommes bien compris.
Le lecteur est à la base de nos écrits : ce n'est pas ce qui est vrai ou ce que le journaliste pense qui est important, mais bien la réaction humaine de ce très cher lecteur qui achète votre prose. Pensez-y, il faut qu'il ait de l'émotion, qu'il soit reconnu pour sa grande analyse de la situation, et que ses amis puissent lever leurs verres à sa hauteur.
Une fois que vous avez tout ça, c'est presque parfait : la perfection tient dans la régionalisation, la localisation, bref, la proximité. Si l'événement a eu lieu dans un endroit que notre lecteur connaît, c'est tout simplement le jackpot. Le proximité géographique précise n'as pas d'importance, cela peut être son lieu de vacances, comme son vrai chez soi, mais il faut que cela se soit passé près de chez lui...
Allez, je vous donne un petit peu d'aide :
« Un garagiste de Braine-le-Comte a sodomisé les enfants de son ouvrier après avoir confondu l'huile de vidange avec l'aphrodisiaque « metsdelhuile ».
Ce qui devait arriver arriva ! Les industriels du marché des aphrodisiaques avaient déjà été mis en garde, mais la commission Européenne avait reporté son vote sur la question. En effet... honnête homme.... l'aphrodisiaque vendu dans un bidon d'huile.... tout ça pour les lois du marketing.... C'est un homme brisé... Des familles détruites... L'entreprise a dû fermer.... Quel drame de la bêtise humaine ! »
Tout y est, le porn, les pills, la proximité, la peur, un texte court avec des mots simples... Toute la région se précipite pour savoir qui est ce fameux garagiste (Notez la technique utilisée : ne pas donner le nom en première page.) Ils ont peut-être été à l'école avec lui, peut-être est-il connu pour être un pervers, peu importe : ils achètent le journal. Pensez bien à cela, ils payent le bout de papier qui va vous payer, vous qui aurez des fins de mois difficiles.
Regardons maintenant la réaction de nos lecteurs.
Chez Momo :
Jean Mi : « Et Dédé, zavez akaté el djournal ? »
Dédé : « Evidemment, ké biess tu fais ! Ya le Léon ka fait une touze avec les jumelles bônnasses de l'Eros Club »
Jean Mi : « Tu vois Dédé, j'avais raison, je savais bien qu'un jour il finirait par avoir assez d'argent pour s'payer ces putains... »
Dédé : « Quand j'pense qu'elles n'avaient plus parlé à leur père qui les a reniées depuis qu'elles sont entrées dans le métier le jour de leurs 18 ans... et ce vieux Léon qui organise ça dans l'atelier où skil a trimé pendant 30 ans... ké pervers hein ! »
Jean Mi : « Ben moi, je lève mon verre à ce vieux pervers. Allez Christian, mets nous une tournée »
Dédé : « Et ne confonds pas la bonne pils que tu nous sers avou l'huile de vidange de Léon, sinon t'auras mal at trou de fièsssssss »
Je me dois tout de même prévenir mon cher étudiant, que cette méthode est tirée de la presse francophone belge qui l'a utilisée depuis maintenant une dizaine d'années. Malheureusement, cela n'a pas l'air de réellement porter ses fruits. Je reste d'ailleurs perplexe face à ce manque de résultats, mais la période est difficile, c'est la crise, et je suis certain que tout le business repartira rapidement.
Allez cher pigiste, un peu de courage et d'abnégation, je suis certain que l'avenir du journalisme sera brillant.
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